ATELIER D'ÉCRITURE: Expérience à bord d'un bateau de croisière pendant la pandémie- Edith Martínez
EXPÉRIENCE À BORD D’UN BATEAU DE CROISIÈRE PENDANT L'ARRIVÉE DE LA PANDÉMIE
Edith Martínez C.
C’est dans la soirée du 08 avril 2020 qu’ils m’ont annoncé la nouvelle la plus attendue à ce moment-là par pratiquement tous les employés travaillant à bord des navires de croisière : je devais préparer mes valises parce que je serai rapatriée le lendemain.
Cette nuit-là, je n’ai presque pas dormi, tout s'est passé assez vite. Finalement, je serai bientôt chez moi avec ma famille durant ces moments difficiles.
Durant ce dernier mois à bord, j’ai été traversée par diverses émotions mais il y avait enfin un espoir. À l’origine, la date de retour dans mon pays était prévue le 15 juillet. Mais tout a radicalement changé et c’est le 09 avril que je suis retournée au Mexique.
Tout a commencé en janvier 2020 quand je faisais tous mes préparatifs pour une nouvelle aventure. C’était mon cinquième contrat avec cette entreprise de navires de croisière pour laquelle je travaillais. J'étais pleine d’enthousiasme car ce devait être mon premier voyage en Amérique du sud et en plus, je connaissais déjà ce bateau-là, j’avais déjà séjourné à son bord pendant mon premier contrat et je l’aimais bien, il était vraiment spécial pour moi. Je ne gardais que de beaux souvenirs. Le 18 janvier, j’ai pris le vol AA989 à destination de Montevideo, en Uruguay. J’y suis arrivée le lendemain, j’ai eu le temps de me balader sur la plage, de bien manger et de bien me reposer.
Le jour de l’embarquement est arrivé. Il était 6 heures du matin, le 20 janvier 2020, je m'apprêtais à prendre mon petit déjeuner avant de quitter l’hôtel et rejoindre le bus qui m'emmènerait au paquebot qui deviendrait ma maison pendant les six mois à venir. J’étais très contente, j’allais faire la connaissance de nouvelles personnes et découvrir de nouveaux endroits. J’étais sûre d’une chose, c’est que tout serait magnifique. De plus, je ne serais pas « si loin » de chez moi et de ma famille. C’était l’Amérique du Sud et non l’Europe ou l’Asie.
Janvier est passé vite mais on commençait déjà à entendre à bord quelques commentaires à propos d’une situation qui se passait en Chine mais sans savoir ce qui se passait exactement. Quand on est à bord d’un bateau (surtout en tant que travailleur), on ne sait pas très bien ce qui se passe dehors. C’est comme si on était isolé du monde pendant la durée du contrat. Heureusement, la technologie s’améliore chaque jour et la communication et l’information deviennent plus accessibles pour les personnes travaillant en mer.
Février 2021. Un des bateaux-frères de celui sur lequel je me trouvais, a été mis en quarantaine au large du Japon, il y avait de nombreux cas de SARS-CoV-2 à son bord. Ce bateau-là avait commencé son voyage le même jour que mon propre embarquement, c’est-à-dire le 20 janvier. Il est parti du port de Yokohama au Japon avec un total de 3711 personnes à bord (2666 passagers et 1045 membres d’équipage). Apparemment, un passager chinois de 80 ans a embarqué sur le navire en ayant déjà des symptômes du COVID. Il a passé cinq jours à bord et puis il a débarqué à Hong Kong, sa ville de provenance. Il a été diagnostiqué positif au coronavirus six jours plus tard. Les autorités ont été alertées et elles ont exigé une quarantaine de deux semaines à bord. Personne ne pouvait débarquer.
La nouvelle a été annoncée à bord du paquebot sur lequel je me trouvais. C’étaient des moments compliqués pour l’entreprise de bateaux de croisière mais ce n’était que le début. Nous avons traversé des moments plus difficiles par la suite. Le 12 mars 2020, la compagnie de croisières a annoncé qu’elle suspendait ses activités pendant deux mois. Les employés seraient rapatriés et les voyages seraient arrêtés et repris en mai. Tous les navires devaient débarquer les passagers dans les prochains jours. Notre itinéraire avait commencé le 05 mars au port de San Antonio, au Chili, et il était prévu qu’il s’achève le 19 mars à Buenos Aires, en Argentine.
La dernière fois que le paquebot a accosté, c’était le 13 mars. L’itinéraire n'était pas terminé, cependant les pays d’Amérique du sud ont annoncé la fermeture de leurs frontières les jours suivants. La seule option que nous avions était de nous diriger vers Buenos Aires et de procéder au débarquement afin que les voyageurs puissent retourner dans leur pays d’origine. Une fois que les gens seraient débarqués, les travailleurs resteraient à bord en attendant de nouvelles instructions de la compagnie de croisières.
Le 19 mars, Buenos Aires. Tout le monde, sauf les travailleurs, devaient débarquer mais l’Argentine venait tout récemment d'annoncer la fermeture de ses frontières. Cette nouvelle a tout changé, le bateau est arrivé au port à 1 heure du matin mais les autorités exigeaient dans un premier temps des preuves de bonne santé pour tous les voyageurs afin de les laisser débarquer et ensuite, seuls ceux qui avaient un billet d’avion pouvaient quitter le navire. Tous les passagers ont été testés à l’aube et tous étaient en parfaite santé, c’était une bonne nouvelle. Il était 6h20 et je me préparais, l’heure du débarquement était arrivée et je devais travailler.
Le temps s’écoulait, les heures défilaient, 7h, 8h, 9h et personne n’avait encore débarqué. Les autorités argentines empêchaient le débarquement en dépit des preuves de bonne santé. Après quelques heures de négociations, ils ont finalement accepté le débarquement des argentins se trouvant à bord du navire. À ce moment-là, beaucoup de passagers avaient déjà perdu leur vol. Quelque temps plus tard, les autorités ont formulé une stratégie et ont accordé la permission de débarquer uniquement ceux qui avaient un billet d’avion et à condition d’être escortés, d’aller directement à l’aéroport et de sortir du pays. Si les vols étaient annulés, les gens devaient retourner immédiatement au bateau.
La journée du 19 mars a été longue, ce mois est d’ailleurs passé très lentement. Le bateau a dû attendre les personnes dont le vol avait été annulé à cause de la fermeture des frontières dans plusieurs pays. Quelques heures plus tard, le paquebot a dû quitter le port après les annonces gouvernementales argentines. La bateau est allé à Montevideo avec 1024 voyageurs à bord. Montevideo a permis l’arrivée uniquement afin de s'approvisionner en vivres et carburant. Personne n'était autorisé à descendre sur le quai.
Après être restés deux jours à Montevideo, le 22 mars nous sommes partis en direction de Miami en Floride, aux Etats Unis. Ce devait être une traversée de 14 jours en mer. À ce moment-là, cela faisait déjà neuf jours que nous étions enfermés dans le paquebot, nous devions poursuivre mais nous ne savions pas exactement combien de temps cela durerait. Ils avaient annoncé un rapatriement mais nous n'avions plus d'informations. Chaque jour, tout devenait de plus en plus compliqué. Le 24 mars, nous sommes arrivés au Brésil avec l’espoir de débarquer quelques passagers ayant un billet d’avion, mais ils ne nous ont pas autorisés à le faire, le navire n’a même pas pu accoster au port. Nous avons dû continuer le voyage.
La nuit du 26 mars, une fête pour les travailleurs a été organisée. Nous avions déjà passé deux semaines à bord dans des conditions stressantes et nous avions besoin de nous amuser un peu. Mais cette soirée-là, je ne me sentais pas bien, je me sentais très fatiguée et je n'avais pas ressenti le besoin d’y aller même si les jours précédents j’étais très motivée pour me rendre à cette fête. J’ai décidé de ne pas y aller et de rester dans ma chambre mais mes amis m’ont convaincue et à la fin, j’y suis allée. La soirée s’est bien passée malgré tout.
Le 28 mars, un de mes amis m’a annoncé qu’il avait été confiné la veille dans sa chambre parce qu’il avait de la fièvre. Il serait placé en quarantaine pendant au moins deux jours ou jusqu'à ce qu'il n’ait plus de fièvre. À bord des bateaux, il y a des protocoles à suivre et quand quelqu’un est malade ils prennent des mesures afin de prévenir la propagation du virus entre les autres personnes. Parmi ces mesures, l’isolement de la personne malade et la désinfection approfondie de tous les espaces du paquebot au moins trois fois par jour, sont les plus sévères.
Pendant ces derniers jours, ma collègue, avec qui je partageais la chambre, présentait des symptômes de grippe. Je lui ai conseillé d’aller chez le médecin à bord mais elle a refusé parce qu’elle ne voulait pas être confinée. Moi aussi, j’ai commencé à avoir mal à la gorge et donc ce jour-là, le 28 mars, j’ai décidé d’aller rendre visite au médecin, c’est à ce moment-là que ma collègue a décidé d’y aller elle aussi. Nous y sommes allées ensemble, nous n’étions pas les seules, d’autres travailleurs étaient là aussi, ils avaient l’air mal. Une infirmière nous a examinées. Ma collègue avait de la fièvre, elle a été confinée. Quant à moi, l'infirmière m’a donné des pilules pour la gorge et du paracétamol et elle m’a demandé de m’en aller immédiatement. Quelque chose clochait.
26 jours après le début du voyage - dont 16 jours à bord sans pouvoir sortir du navire et après avoir été refoulés de plusieurs ports - nous poursuivions notre voyage en navigant sur l’océan. Le 31 mars, la Barbade a accepté l’accostage du bateau uniquement pour obtenir plus de vivres. Le débarquement d’un passager a été possible car son état de santé était délicat. Il avait besoin d’être traité à l’hôpital. À bord, nous n’avions pas tout le nécessaire pour lui venir en aide. Nous avons accosté juste quelques heures et puis nous avons continué notre chemin.
Depuis quelques jours, nous avions des restrictions à bord dues au nombre de personnes malades. Tous les travailleurs devaient rester dans leur chambre, sauf s’ils travaillaient ou durant les repas. Il n’y avait plus de fêtes et les réunions entre nous étaient interdites. On devait maintenir une distance entre nous et nous devions suivre les protocoles d’hygiène et de désinfection. Il y avait même des travailleurs qui surveillaient le lavage des mains à l’entrée de la cafétéria. On devait porter des masques et plus tard des gants en plastique aussi. Quant aux passagers, ils devaient rester aussi dans leurs chambres, on leur y servait de la nourriture.
Heureusement, le mois de mars se terminait. J’avais l’impression que ce mois avait été éternel. Le mois d’avril a commencé et le 04 avril nous devions arriver aux Etats-Unis. Nous avions l’espoir que les personnes pourraient débarquer et ainsi retourner dans leurs pays, jusque là tout se passait bien. Nous poursuivions les mesures, c’était un peu dur. Parmi les 18 navires de la compagnie nous étions l’un des deux bateaux à avoir encore des voyageurs à son bord. Tous les autres paquebots avaient déjà procédé au débarquement durant les semaines précédentes. Les seuls à bord étaient les travailleurs, pour eux c’était magnifique d’être à bord sans avoir besoin de travailler. Néanmoins, chez nous, l’histoire était totalement différente, nous devions continuer à travailler dans des conditions chaque fois plus dures et exigeantes.
Lors de la soirée du 02 avril, un mois s’était déjà pratiquement écoulé depuis le commencement de ce dernier voyage, je me préparais pour aller travailler quand j’ai reçu un message d’un ami, celui qui avait été en quarantaine quelques jours auparavant, il me disait que ce qu’il avait, c’était le coronavirus. Je lui ai demandé comment est-ce qu’il le savait mais il n’a plus répondu. J’ai continué à me préparer parce que je devais travailler de 20 heures à 22 heures. Je me suis rendue au lieu où l’on m’attendait pour travailler, tout avait changé à cause de l’isolement de tout le monde. Mon nouveau travail était d’escorter les fumeurs. Il y avait un nouveau protocole à suivre pour les voyageurs. La personne ayant besoin de fumer devait appeler la réception et demander à être escortée pour aller fumer. L’escorte devait aller à la chambre de la personne et l’accompagner jusqu’à l’endroit le plus proche autorisé pour fumer. On devait attendre la personne et puis la raccompagner à sa chambre.
Quelques minutes avant 22 heures, le capitaine du bateau a fait une annonce : à bord du navire, il y avait déjà des personnes infectées par le virus du COVID-19. Ils avaient envoyé 13 tests à la Barbade dont 12 étaient positifs (sept passagers et cinq travailleurs). Évidemment, à ce moment-là, il y en avait déjà bien plus. À cet instant, la question était de savoir : comment cela s’est-il passé ? À quel moment ? La situation est devenue plus difficile, les jours étaient de plus en plus longs. La nuit, je ne pouvais pas dormir. C’était comme un cauchemar, tout ce que je voulais c'était me réveiller et me rendre compte que rien n’était vrai.
L’isolement est devenu obligatoire pour tous ceux qui avaient présenté des symptômes de grippe dans les derniers jours. Moi, j'ai eu mal à la gorge, alors je faisais partie de cette liste aussi. On ne pouvait pas sortir de la chambre, ils nous apportaient de la nourriture. La première fois, j'ai reçu le petit déjeuner à midi pratiquement. Une autre fois je n’ai pas reçu de petit déjeuner, mais j’ai reçu un double déjeuner. C’étaient des journées vraiment stressantes et assez tristes. Tout était incertain.
Le samedi 04 avril 2020, finalement, après une longue traversée, nous sommes arrivés le matin du 04 avril au port de Miami aux Etats-Unis. Ils ont accepté de nous aider et de débarquer les passagers. Il s’agissait d’une très bonne nouvelle. Cependant, il y avait quelque chose que je ne savais pas. Une amie m’a écrit pour m’interroger au sujet des personnes mortes à bord. J’étais choquée par cette nouvelle. J’ai demandé à mes cheffes et en effet elles ont confirmé cette malheureuse nouvelle. Jusqu’à cet instant, j’avais géré les moments difficiles mais cette nouvelle m’a complètement brisée. Ce jour-là est devenu le plus difficile et le plus triste pour moi à bord d’un bateau. Heureusement, les autorités nous ont admis et ont permis le débarquement mais nous avons dû suivre des protocoles de santé. En plus, une des conditions était de ne pas utiliser de transport publique, ni de vols commerciaux, l’entreprise a donc dû affréter des vols charter afin de rapatrier les personnes. Les gens ayant besoin de soins médicaux étaient prioritaires. Après un long processus, durant la soirée du 04 avril, le débarquement a finalement pu commencer petit à petit. Nous devions rester au port de Miami durant quelques jours, jusqu’à la fin du débarquement.
Un mois s’était écoulé depuis le commencement de ce dernier voyage. Le processus de débarquement a été très lent mais les passagers continuaient à quitter le bateau tous les jours. Chaque jour, le paquebot était de moins en moins occupé et de plus en plus silencieux et tranquille. Le temps s’écoulait, ils avaient déjà passé cinq jours à Miami depuis notre arrivée mais la soirée du jeudi 09 avril, tout s’est enfin terminé. J’étais enfin chez moi, j’étais vraiment ravie. Cependant, j’ai décidé de faire une quarantaine volontaire juste en prévention. Je suis restée isolée chez ma tante pendant deux semaines. Après cela, j’ai pu rencontrer ma famille.
Ce jour-là, le 09 avril 2020 le navire a dû quitter le port de Miami après cinq jours de grands efforts de rapatriement. Treize voyageurs ont dû rester à bord à cause des restrictions de voyage. À peu près une centaine de travailleurs ont été rapatriés, travailleurs dont je fais partie. Tous les gens à bord ont dû faire une quarantaine obligatoire pendant 14 jours afin de surveiller leurs symptômes et réduire les possibilités de transmission du virus. Quant au reste des marins, ils sont restés à bord pendant des semaines voire même des mois à cause des restrictions et à cause des fermetures de frontières.
À ce jour (mai 2021), la compagnie de bateaux de croisières reste en pause. Cela fait déjà plus d’un an que les voyages sont à l’arrêt et il n’y a pas d’informations sûres à propos de la reprise. Quant à moi, je ne suis pas certaine d’y retourner, mais on ne sait jamais.
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